Langues de France : le NIET de Sarko-Fillon

Une fois de plus, la question linguistique en France se heurte à un blocage gouvernemental.

A la veille de prendre la présidence de l’Union Européenne, la France s’était sentie obligée d’éclaircir sa position sur la diversité linguistique sur son propre territoire, elle qui ne manque pas une seule occasion pour invoquer les droits de l’homme chez les autres sans les respecter vraiment « at home« .

Malgré des plaidoyers courageux de députés de toutes tendances, mais en l’absence de la plupart des députés (on dit que 400 députés sur les 577 seraient maire de leur commune, et il fallait préparer le 8 mai …), et en l’absence des opposants les plus endurcis aux langues de France, c’est le vieux jacobinisme qui a tranché par la bouche de Mme Albanel, ministre de la Culture. (En France, la « Culture » est gérée depuis Paris…) .

La conclusion du débat « sans vote » est sans appel : pour le gouvernement c’est NIET sur la charte européenne, NIET sur la modification de l’article 2 de la Constitution !

L’argumentation de Mme Albanel est un véritable best-of d’intolérance culturelle et de mauvaise foi érigées en doctrine politique :

La reconnaissance officielle de nos langues serait :

  • Contraire aux principes :

« Le Gouvernement ne souhaite pas s’engager dans un processus de révision constitutionnelle pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, et cela tout d’abord pour des raisons de principe. »

  • Reconnaîtrait un droit :

« La ratification de la Charte implique la reconnaissance, qui n’est pas seulement symbolique, d’un droit imprescriptible de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique. Ce droit, qui figure explicitement dans son préambule, est, comme l’a souligné le Conseil [constitutionnel], contraire à des principes constitutionnels aussi fondamentaux que l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi et l’unité du peuple français. Le problème va donc au-delà de l’articulation de la Charte avec l’article 2 de la Constitution : cette ratification engagerait notre noyau dur constitutionnel, qui interdit de conférer des droits particuliers à des groupes spécifiques, et qui plus est sur des territoires déterminés. D’ailleurs, l’expression de « minorité linguistique », qui tend à faire penser à des minorités opprimées, me paraît contraire à la philosophie et à la réalité de notre République. »

  • Ferait évoluer l’administration :

« D’autre part, personne ne pourrait défendre l’idée d’une administration obligée de s’exprimer aussi dans la langue d’une région donnée, et qui recrute des fonctionnaires qui la maîtrisent, afin de faire droit à des revendications légitimées par la charte. Ce serait l’une des conséquences logiques possibles de la ratification. »

  • Irait à l’encontre de l’édit de Villers-Cotterets (1539 !) :

« La question de la langue a toujours revêtu une dimension particulière dans notre histoire institutionnelle et politique, depuis que l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 a imposé au Parlement et aux tribunaux l’usage du français contre le latin. »

  • Il y a 79 langues régionales en France ! :

(mais noter que dans son discours introductif, la Ministre Albanel en dénombrait 75 ! : »Si l’on retient, comme le font les linguistes, l’appellation de « langues de France » pour désigner les langues parlées depuis plusieurs générations par des citoyens français sur le territoire de la République, on ne recense pas moins de 75 langues différentes en France. »)

« Par ailleurs, la ratification supposerait de clairement identifier les langues auxquelles le texte aurait vocation à s’appliquer. Selon le groupe de travail qui s’était appliqué à les recenser en 1999, il y en aurait quelque 79, dont 39 outre-mer. En métropole, cela inclut l’ensemble des langues concernées par la loi Deixonne – basque, breton, catalan, gallo, langue mosellane, langues régionales d’Alsace et langues d’oc [ERREUR (?), Madame la ministre, la loi Deixonne du 11/011951 parle de « langue occitane » au singulier non de « langues d’oc » au pluriel ! ndlr ]– auxquelles s’ajoutent notamment le flamand occidental, le franco-provençal et les langues d’oïl, ainsi que cinq langues parlées par des ressortissants français sur notre territoire : berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien occidental. On mesure donc la difficulté pour la France de fixer le périmètre d’application de la Charte, qui ne donne pas d’indication sur les critères d’éligibilité, comme un nombre minimum de locuteurs par exemple. Le risque de dispersion des moyens serait réel, au détriment des langues les plus représentatives. »

  • Ça coûterait trop cher :

« La France a sélectionné lors de sa signature 39 engagements, dont celui de rendre accessibles dans les langues régionales minoritaires les textes législatif nationaux les plus importants. Cela représenterait un coût très important pour l’État, proportionnel au nombre de langues retenues. Cette obligation concernerait les textes à venir mais aussi actuels, et entraînerait une sélection forcément subjective des textes les plus importants. Quant aux collectivités territoriales, elles ne seraient certes pas obligées de traduire leurs textes, mais leur refus pourrait sans doute être contesté devant les tribunaux sur le fondement du droit imprescriptible à parler une langue régionale que reconnaît le préambule de la charte. »

« L’appliquer serait difficile et coûteux et d’une portée pratique pour le moins discutable. »

  • Le refus de ratifier est une promotion ! (cf la Novlangue d’Orwell dans 1984)

« Car notre refus de ratifier n’est pas du tout incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme linguistique : il faut veiller à ne pas opposer les langues régionales à la langue de la République. »

« Reconnaître la diversité linguistique, ce n’est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et imprescriptibles à leurs locuteurs dans la sphère publique : c’est d’abord encourager leur usage, permettre leur enseignement à chaque fois que les familles le demandent et favoriser leur expression culturelle, artistique et médiatique sur tout le territoire. »

  • La Charte est déjà respectée en France :

« Ne sont contraires à la Constitution aucun des engagements souscrits par la France, dont la plupart se bornent à reconnaître des pratiques déjà en œuvre. Le Conseil ouvre ainsi une très large marge de manœuvre qui est à mon sens insuffisamment exploitée. En réalité, de nombreuses dispositions législatives existent déjà dans les cinq domaines énumérés par la Charte : médias, activités culturelles, échanges transfrontaliers, justice, et autorités administratives et services publics. »

  • Si les « familles » le demandent, les collectivités peuvent le faire :

« Je rappelle qu’aucune disposition n’interdit à une collectivité locale de traduire ses propres délibérations – ce qui constitue une nuance importante avec l’obligation de traduction. De même, rien n’empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques et de conforter les territorialisations existantes, dans le respect des valeurs républicaines. Le principe de la demande des familles étant clairement posé, nous pourrions développer des conventions avec les collectivités locales et les associations, à l’image de celles qui régissent l’enseignement et la promotion de la langue basque dans les Pyrénées atlantiques, avec le très remarquable office public de la langue basque. »

  • Le Gouvernement proposera un texte de loi … pour encadrer quand même au cas où :

« Mais si les dispositions légales et réglementaires existent, il est vrai qu’elles sont insuffisamment connues et qu’elles constituent un véritable maquis. Ce dont nous avons besoin donc, c’est d’un cadre de référence. Le Gouvernement vous proposera un texte de loi, ainsi que le Président de la République en avait émis l’idée lors de la campagne électorale, qui pourra récapituler l’existant et entrer dans le concret, dans le domaine des médias – on a évoqué les problèmes posés par le passage au numérique par exemple – de l’enseignement, de la signalisation ou encore de la toponymie. Ce texte ne devrait pas trop tarder à vous être présenté. »

  • Une politique autoritaire mais finalement libérale … :

« Voilà l’approche du Gouvernement pour accroître la place des langues régionales sur notre territoire et garantir leur vitalité : permettre plutôt que contraindre, inciter et développer plutôt qu’imposer. »

  • Le français d’abord !:

« Il s’agit d’ouvrir un espace d’expression plus large aux langues historiquement parlées sur notre territoire – bref, de favoriser l’exercice d’une liberté d’expression. Nous la garantirons dans le respect de nos principes fondamentaux et du rôle primordial du français, notamment en matière d’apprentissage – le Premier ministre a rappelé dans le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française qu’elle est au plus profond le lien qui nous rassemble autour des valeurs de la République. Il n’est naturellement pas question de transiger sur le statut du français, mais personne d’entre vous ne le demande… »

  • La France est le meilleur défenseur de la diversité linguistique en Europe et dans le monde ! CQFD :

« En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle. Les régions qui ont les plus fortes identités linguistiques sont en effet souvent celles qui sont les plus à l’aise dans la mondialisation. »

En résumé, une grosse claque pour les défenseurs des langues historiques de la République, pour les parlementaires de tous bords qui voudraient faire évoluer la législation dans un sens progressiste !

Le texte intégral du débat :http://www.assemblee-nationale.fr/13/cra/2007-2008/153.asp

6 réflexions sur “Langues de France : le NIET de Sarko-Fillon

  1. HUMILIATION !!!
    Toujours et encore HUMILIATION !!!

    Le gouvernement ferait bien de se demander quel genre de réaction cette humiliation quotidienne va finir par engendrer…

  2. Adiussiatz;
    Ai legit las diferentas intervencions. Es encar mai triste que çò qu’amaginavi. Elses que son messorguièrs coma d’arrencaires de dents, se donon pas la quitia pena de laissar creire que van far quicòm.
    Coratge, lo françès es a mand de debordelar de pertot dins lo monde. Los joves parlan anglès, dansan anglès , legisson englès, la publicitat , los libres, los films , la philosofia , l’economia son anglo-saxonas.
    Mas cal pas oblidar que s’agis d’un jòc de ròtle.
    Quand i a un governament d’esquèrra , fa çò mesme qu’un governament de drècha.
    D’un autre costat, aquò’s vòl dire tanben que los governaments de totas mans que siagan, nos jutjan encara tròp frèscs e que sem perilhos per la famosa unitat nacionala, volguda per lo senher J Christ e la Joana d’Arc…A perpaus sabètz que la Joana li calia totjorn una jova piucèla per trobar lo sòm aprèp la batèsta, (vertat , vist sus Arte). Se compren ara per qué èra vèrga…
    Al revers , coma la França es la campiona del monde per los simbòls e las comemoracions , e ben nos podrem far de laguia quand voldran plan de nos donar lo drèch de parlar nòstra lenga « regionalas », comunalas veire cantonalas veire de l’ostal.
    Ensem manquarem pas d’aprendre lo turc qu’es la lenga sòrre del françès, e lo païs lo mai pròche en matèria dels drèches de l’òme… e de las femnas sai que tanben

  3. A l’échelle du monde, le français est un patois hexagonal. A l’échelle de l’Europe, une simple région dont la défense linguistique peut s’analyser comme un régionalisme attardé. Personnellement, je défends l’occitan sans le parler mais je le comprends en le lisant notamment.Et je constate qu’une fois encore on nous fait le coup d’un risque pour l’unité national. C’est nul. les occitans ne veulent pas l’indépendance qui n’existent pas, nous sommes tous interdépendant. je n’ai rien à faire d’un euro occitan, d’une police occitane, de CRS occitan, d’une justice occitane, si elle est aussi injuste que la française. Nous voulons exister simplement et être avec les autres, parmi les autres.

  4. La République française est consubstantiellement hostile à ses langues dites « régionales » . Le dogme de laîcité veut qu’elle ne se trouvera jamais sur le « chemin de Damas ». A partir de ces évidences quelle stratégie adopter?

  5. Vous avez écrit : [ERREUR (?), Madame la ministre, la loi Deixonne du 11/011951 parle de « langue occitane » au singulier non de « langues d’oc » au pluriel ! ndlr ]–
    Mme la Ministre ne s’est pas trompée : 1° la loi Deixonne a été abrogée par une ordonnance de 2000, M. Jacques Lang étant ministre de l’Éducation nationale.
    2° Par arrêt (souverain) du 7 octobre 1977, le Conseil d’État a rejeté un recours de M. Philippe Carbonne tendant à l’annulation de la circulaire « Haby » du 29 mars 1976 qui avait employé le pluriel « langued’oc », car cela ne faisait que traduire la multiplicité linguistique du domaine d’oc.
    Pour le reste, je trouve personnellement la déclaration de Mme Albanel, une Toulousaine parlant au nom du Gouvernement d’un président élu démocratiquement, comme pleine de bon sens et tendant à la protection de toutes les langues d’oc dans leur authenticité et leur complexe variété.
    Hèt beroy.

  6. Vene de viatjar en Soissa dins lo pais de Saviesa, un endrech ente se parla enquera una mena d’arpitan, desjà que la Confederacion Helvetica a quatre lengas oficialas, qu’ei question d’ajudar ad una renaishença daus parlars francò-provençaus o arpitans, merces a l’ensenhament, a costat dau frances oficiau.

    De que serv d’esperar quauquaren d’un govern parisenc, que que sia, de gaucha tan coma de drecha, an tròp de trabalh demb lo chaumatge, la crisi, lo terrorisme e autres problemas que van pas ‘chabar de doman…

    Lo poder de tornar trobar lo chamin de las lengas deuria dependre de las regions e colectivitats locaus, e dins l’avenidor chau esperar un desvolopament d’una autonomia dau niveu daus cantons Soisses per las questions dau maine educatiu, culturau, lingüistic, que fonccionen bien e amenaçan gaire l’unitat de la federacion, au contrari.
    Comence de n’aver pro daus monde que van totjorn esperar quauquaren dau « rei de França » e dau son parlament, coma d’escolans que se van planher a la regenta; aus ciutadans d’ajudar localament los elegits regionaus favorables au desvolopament de las lengas nòstras.
    Me ‘n chaute de purar, per avançar chau marchar e per ajudar la lenga chau parlar (o aprene a zo far mai o mens), escriure, produsir mai o mens e se remudar enluec de purar.

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